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L’urbanité dans la ville légère
Contribution de Joseph Hanimann a l’étude « sytémes métropolitains » de l’équipe LIN

Article extrait de l’étude Systèmes métropolitains,  »Micro-centralités, systèmes immanents de la ville légère » de l’équipe LIN, septembre 2013

On continue aujourd’hui d’aligner un certain nombre de qualités urbaines et d’ériger cet ensemble en modèle de vie pour la cité. Une densification bien pensée conduirait ainsi à la mixité qui, elle, favoriserait la cohabitation et la tolérance, le tout sous l’horizon protecteur de l’idéal républicain à la française. Mais l’urbanité, ce concept oscillant entre constat factuel (la réalité d’une urbs avec la complexité des rapports qui la caractérisent) et projet civilisationnel (politesse et raffinement dans le comportement des citoyens), n’obéit pas à un schéma aussi rigide et idéaliste qui, de plus, ne correspond plus guère aux conditions métropolitaines actuelles. Mieux vaut reprendre ce concept à sa base.

Si la vie policée d’Athènes, ville de la pensée et de la rencontre, brillait pendant un court laps de temps contre la rudesse de Sparte et si, des siècles plus tard, Rome enrichit l’idée d’urbanité par de nouveaux éléments comme l’élégance du style et de la parole (se distinguant ainsi du mélange des accents parlés ailleurs dans l’empire), ce terme est ensuite tombé dans l’oubli pour une longue période, cédant la place à d’autres principes comme celui la « courtoisie ». 1 La pensée de l’urbanité réapparaît comme un modèle de civilisation au 17e et au 18e siècle, en France notamment. Elle se trouve alors étroitement liée au phénomène du regard et de la lumière, dans des villes qui commencent à s’agrandir fortement et où la population se croise désormais de manière plutôt anonyme. C’est l’époque où les mondanités fermées de la Cour à Versailles refluent vers Paris. « L’on se donne à Paris, sans se parler, comme un rendez-vous public, mais fort exact, tous les soirs au Cours – le Cours-la-Reine – et aux Tuileries, pour se regarder au visage et se désapprouver les uns les autres », écrit La Bruyère au chapitre « De la ville » dans son livre « Les Caractères ».L’urbanité retrouvée apporte avec ses jeux du regard entre gens qui se jugent sans se parler une dimension du faux, de l’hypocrisie, du mensonge. Elle rompt avec la franchise de la parole, du face-à-face, parfois de la franche dispute, et elle facilite ainsi le croisement des foules sans heurts. On pourrait suivre cette nouvelle urbanité du regard à la trace lumineuse qu’elle a laissée sur le territoire : dans le chassé-croisé entre Paris et châteaux environnants pour les fêtes galantes, souvent nocturnes, il fallait traverser de vastes territoires essentiellement ruraux « où l’obscurité est un obstacle quasiment infranchissable » 2 . Les rares points lumineux des guinguettes hors-laville proposant du vin « hors taxe » éclairaient cet espace noir qui entourait la ville.

Tant que la distinction entre ville et campagne paraissait pertinente, le village était, certes, le lieu de l’obscurité nocturne, mais il était considéré aussi comme celui de la sincérité de la parole où l’on s’interpelle – « qui va là ? » – et où l’on se passe de règles d’urbanité. Car le village vit sous l’horizon du voisinage. L’effacement de la dichotomie ville/campagne a fait basculer les choses.
Dans les vastes zones appelées suburbaines, souvent monofonctionnelles, qui cernent les villes et métropoles, la parole devient muette sans appeler le jeu des regards propre à la vie urbaine. Le regard s’introduit plutôt sous la forme de l’observation, de la suspicion et de la surveillance. Cette réalité des cités, des pavillons, des zones d’activité dispersées a mauvaise presse. Cependant – «l’enjeu n’est pas de lutter contre la périurbanisation, la suburbanisation ou la rurbanisation en tant que telles, mais d’organiser de la façon la plus urbaine et la plus écologiquement possible ces modes d’habitat et de travail 3», écrit François Ascher. Il s’agit en quelque sorte de ré-urbaniser le regard en y introduisant une complexité qui réponde aux situations des métropoles actuelles.

Dans le contexte classique de la ville, traditionnellement dense, prévaut une séparation claire entre la sphère privée et la sphère publique. L’intimité spatiale des vies qui se côtoient est compensée par une certaine culture de l’indifférence, voire de l’anonymat réel ou feint : Je me trouve « chez moi » ou « sur la voie publique » qui commence souvent dans la cage d’escalier des immeubles. Le tissu périurbain que nous appelons Ville légère ne peut, lui, faire l’impasse sur les interstices du plus ou moins proche que l’on appelle le voisinage. L’enjeu est donc celui d’adapter cette notion de voisinage à la réalité des systèmes métropolitains et à leur tissu géographiquement, fonctionnellement, administrativement, humainement hétérogène. D’un schéma articulé en binôme (public/privé), on passe à un jeu plus ouvert qui procède par paliers successifs et changeants, qui voit apparaître et disparaître des cercles de communautés et qui reconnaît le poids politique de groupes politiquement non institués. Cela revient à redéfinir l’idée du voisinage comme un élément constitutif qui se déploie dans les micro-centralités de l’espace métropolitain.

La France a développé, avec son concept de la République, une pensée forte de l’articulation entre vie privée et vie publique. Ce modèle est fondé sur l’idée d’un citoyen abstrait soumis indifféremment aux règles valables pour tous et sur la mise entre parenthèses de tout particularisme personnel. Le nivellement et l’uniformité qui en résulte se trouvent en porte-à-faux avec l’évolution des sociétés métropolitaines actuelles qui mettent volontiers en valeur les différences entre les groupes. Mais ce régime républicain français est efficacement contrebalancé par une vie associative dense et dynamique. Le grand nombre d’associations apparaît comme des enclaves de type familial dans le grand corps républicain qu’elles animent de leur vie foisonnante.
Simplement, elles restent invisibles le plus souvent. C’est comme pour la mobilité urbaine : on a pensé les infrastructures et les grands axes, mais on laisse dans l’inorganisation la petite échelle de la localité. La facilité administrative pour créer une association en France (2 personnes au minimum) est à la fois un encouragement et la cause de leur sous-exposition dans la vie publique. Ce n’est pas le rôle de la République d’organiser la vie associative des citoyens et il n’est pas certain non plus que la création de « Maisons des associations » proposée dans de nombreuses communes soit la meilleure solution car cela réintroduit une idée de centralisation au niveau local qui ne correspond pas à la logique associative. Celle-ci évolue mieux dans le cadre d’une République « trouée », souple, insulaire qui encourage les sujets à l’interaction et aux services réciproques par le biais du prêt mutuel de locaux libres, de moyens et de compétences. Cela peut impliquer parfois une séparation moins stricte entre domaines public et privé, entre bénévolat et dimension commerciale. Il s’agit d’accompagner le processus du mélange et de la mixité, même éphémère, non de le planifier ou le guider. L’urbanité métropolitaine contemporaine est une urbanité sauvage qui s’invente quotidiennement entre migration spontanée, ouverture et fermeture des frontières, entre rigidité des lois et souplesse d’application. « La mixité sociale, forme urbaine de l’idéal républicain, est menacée par des dynamiques de peuplement et des logiques politico-électorales 4 », écrit encore François Ascher . Un gouvernement sans le contrepoids d’une gouvernance n’est plus possible dans nos métropoles.

Si on pourrait voir l’urbanité des macro-centres métropolitains comme une urbanité du « frottement », au sens de La Bruyère (pas de confrontation, mais des contacts distancés, biaisés, policés), on parlerait en Ville légère d’une urbanité du « scintillement » : des contacts instables, très proches aujourd’hui, éloignés demain, s’articulant entre les différentes échelles politiques et rebondissant entre l’institutionnel et l’informel, entre l’individuel, le collectif et le communautaire. L’acteur urbain en Ville légère change constamment de rôle et glisse facilement du passant anonyme au familier des lieux, au voisin, au membre de la communauté, à l’étranger, au partenaire d’échange fortuit ou durable.

Une formule possible pour caractériser la qualité urbaine de la Ville légère pourrait être celle-ci : augmentation des distances parcourues et réduction du nombre des parcours effectués. Là où les déplacements dans le périurbain se font aujourd’hui par un grand nombre d’allers-retours ponctuels, il faudrait imaginer un dispositif qui incite à la pratique du détour. Un moyen possible serait celui d’introduire de la diversité, voire des parasites, dans l’efficacité monofonctionnelle. Il consisterait à créer par exemple des effets de ralentissement sur les trajets où tout est fait pour aller vite d’un point à l’autre, en proposant des arrêts qui permettent de faire, « chemin faisant », différentes choses non toujours prévues – s’approvisionner, se détendre, se divertir, se connecter, se rencontrer. Il ne s’agit pas de transposer le flâneur baudelairien sur le terrain de la Ville légère. L’urbanité de cette dernière n’est pas simplement une urbanité « plus légère ». Elle a sa nature propre rendant éphémère le bâti qui faisait le bonheur du flâneur et parfois durable le terrain vague qui excitait sa curiosité.

1 Parmi les nombreuses études à ce sujet, citons Edgar Salin : « Urbanität », conférence au Deutscher Städtetag du 1er juin 1960 à Augsbourg
2 Catalogue „Paris la nuit“, Éditions Pavillon de l‘Arsenal/Picard, 2013, p.27
3 François Ascher: « Les nouveaux principes de l’urbanisme, suivi de Lexique de la ville plurielle », Ed. de l’Aube, 2010, p.235
4 Ibid., p.225

Article extrait de l’étude Systèmes métropolitains
« Micro-centralités, systèmes immanents de la ville légère » de l’équipe LIN
Septembre 2013

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